> Romancier, un métier de pointe, par Hédi Kaddour
a journée est une bouchée." J'ai ouvert Montedidio et, à la première phrase, je sais que je vais acheter et lire. Ça n'est pas : "La journée est belle." Ni : "Ce fut une rude journée." Cette bouchée, c'est la bonne désinvolture romanesque, la mise à l'écart de toutes les enveloppes déjà utilisées et l'invention par le livre d'une phrase qui n'appartient qu'à lui. Le roman se jette sur la journée, sur "les choses de la journée", et la lecture en devient à son tour une bouchée.
Un homme raconte sa sortie de l'enfance à Naples, entre le travail, la mort de sa mère, le départ d'un vieux cordonnier bossu, la naissance du désir, ses amours et les affrontements avec le propriétaire de l'immeuble, entre le vacarme de la journée et le bruit du crayon le soir sur le papier. Il accumule, il distribue, il en devient une voix transparente, qui fait discrètement place à celle des autres, celle de Maria, sa compagne, "qui débarrasse, lave, range, même si la vie est triste, au moins il n'y a pas de saleté, qui est une humiliation de plus". C'est de l'histoire personnelle, mais passée au crible d'une composition, ça ne vend pas son cul, c'est du roman.
Parmi les choses de la journée il y a très vite un souvenir, celui d'enfants parmi d'autres, qui allaient à l'école "les cheveux rasés, à cause des poux". C'est tout. Pas d'éditorial sur la fracture sociale. Le roman a horreur de l'éditorial, cette plaie de la prose. Ça ne veut pas dire qu'il ne s'engage pas, qu'il n'a rien à dire sur le monde. Marquons simplement qu'un vrai romancier, ça ferme sa gueule, pour que quelque chose puisse enfin parler : le montage. C'est cela l'engagement de la littérature. Un art du montage. Un art.
(LeMOnde - 05/07)
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